Échauffement chorégraphique bertien (V. Thivin)
PRONONCIATION (français, gaélique écossais, malgache maltais, yoruba) – PRONUNCIATION (anglais) - PRONUNCIACIÓN (espagnol et galicien) – PRONUNCIACIÓ (catalan) – PRONUNCIA (italien et corse) – PWONONSYASYON (créole haïtien) – PRONUNŢIE (roumain) – PRONÚNCIA (portugais) – PRONONCIATIOUN (luxembourgeois).
Dans son roman Un Père étranger, Eduardo Berti superpose trois histoires. Les trois protagonistes de leurs récits entremêlés ne sont pas venus au monde dans le même pays. Ils ne sont pas non plus nés à la même époque. Mais ces trois personnages sont des auteurs et tous trois écrivent dans une langue qui, originellement, n’était pas la leur.
Un Père étranger invite donc tout naturellement les lecteurs à réfléchir à la question de l’acculturation ; question, il va sans dire, indissociable d’une concomitante appropriation linguistique.
Dans ce livre, les nombreux commentaires attachés au vocabulaire, à la grammaire, à la syntaxe, à l’orthographe et à la diction dépassent par conséquent amplement la fonction de divertissantes anecdotes. Et de fait, Un Père étranger est à plus d’un titre une œuvre exploitable en FLE.
Parmi les différentes pistes que j’aurais pu retenir, dans l’extrait qui suit, le parallèle établi par l’ouflepien entre prononciation et danse, m’est apparu comme un biais original pour introduire cette rubrique dans laquelle des textes oulipiens vous seront proposés comme exercices d’entraînement à la prononciation :
"Comme arrive une famille nombreuse, Helen [la propriétaire de l’hôtel] nous demande, à ma voisine et à moi, si cela nous ennuierait de partager notre table. Un peu à contrecœur, je me lève de la mienne avec mon exemplaire de Gare du Nord, d’Abdelkader Djemaï, que je n’arrive pas à terminer. Je le pose sur la table, à côté de la tasse où a refroidi mon café au lait, et je vois que la femme lit en français (comme moi), un roman d’un écrivain argentin dont les livres sont publiés en traduction aux éditions du Seuil : un écrivain dont le père a été marin, et qui est cet écrivain qui m’a offert le roman de Jan Seyda. Nous ne sommes pas longs à le découvrir : c’est une Algérienne qui lit en français un auteur argentin ; je suis son parfait contraire. Elle ne semble pas étonnée, comme si elle était imperméable aux ironies du hasard. Nous bavardons un moment et elle me dit que ça fait du bien de parler avec moi en français. Elle est chorégraphe-danseuse. Depuis presque trois semaines elle parcourt la Grande-Bretagne et elle y restera encore quinze jours, et en fait elle doit prendre à midi un train pour Hastings et elle a mal à la bouche, me dit-elle, mal à la mâchoire à force de tant parler anglais. Je comprends ce qu’elle ressent, je connais cette douleur. J’avais ressenti la même quand j’étais arrivé en France. Je le lui dis. Elle me répond que, très jeune, elle dansait sous les ordres de différents chorégraphes, deux ou trois mois avec l’un, deux ou trois mois avec l’autre, et qu’avec chacun d’eux elle finissait avec des douleurs musculaires différentes. Chaque chorégraphe était, finalement, une langue distincte."*
* Eduardo Berti, Un Père étranger, Lille, La Contre Allée, 2021, pp. 147-148.