Anne Hénaut "se souvient" de Francis Debyser
TRENTENAIRE
Journée du 19 Juillet 1997
Texte à lire à la veillée entre buffet et récital
Au risque de faire un terrible hors-sujet, je donnerai à ce témoignage une allure de part en part personnelle; non seulement: « je me souviens », mais encore « je me souviens d'une personne », non que toutes les autres personnes n'aient été superlativement présentes mais il y avait aussi ce chef d'orchestre, Francis Debyser. Commençons par lui, pour ce trentenaire, et, pour le 40° anniversaire du stage d'été du BELC, on parlera bien évidemment de l'orchestre.
Mon temps au BELC (1973-1979 ) se déroula tout entier sous le règne de Francis Debyser, les stages d'été dont « je me souviens » sont ceux ce Saint-Nazaire, encadrés certes par Grenoble et Luminy, mais la vérité géo-cosmique du stage d'été BELC de ces années là se trouvait, à n'en pas douter, quelque part entre Sainte Marguerite ( Les vacances de M. Hulot ) et les moulins et chaumières effondrées de la Brière. Ce rappel du décor n'est pas anecdotique : cette année 1974, nous réalisâmes un film d'art et d'essai qu'il faudra peut-être programmer aussi... toujours pour le 40° anniversaire.
Qui donc avait défini le BELC d'alors comme un machin d'avant-garde à « ascendant surréaliste » ? Je ne garantis que la fin de la citation, le début serait à reconstituer plus fidèlement mais ce qui est sûr c'est que l'ascendant oulipien de Francis avait créé des poches d'oxygène dans nos obsessions linguistico-formationnelles et qu'il nous arrivait d'avoir de vraies bonnes idées parce que l'air qu'il faisait régner, rue Lhomond, était stratosphérique.
Son ascendant « dévoration du monde » , ses retours du Québec, de Louisiane ou des bas-fonds de New York ( avec reportage exhaustif sur les graffitis du métro et autres tags avant la lettre ) faisaient planer sur nos locaux surchargés et poussiéreux, un parfum de grand large. Comme l'écrit Maupassant dans Bel-Ami « C'est qu'il est difficile de trouver un homme qui ait de l'espace dans la pensée, qui vous donne la sensation de ces grandes haleines du large qu'on respire sur les côtes de la mer.
Son ascendant « dévoration du livre et passion du théorique » nous vouait certes à Gross(er) en dernier ressort, mais sans excessif entartage : Francis était toujours à l'affût de la moindre étincelle de pensée vive et quand quelque chose de tel pointait dans nos élans folliculaires, on pouvait être sûr qu'il ne le laisserait pas échapper.
Enfin, l'ascendant gastronome de Francis Debyser n'était pas mal non plus, pour décrisper le neuronal : « je me souviens » de certains dîners d'avant-stage, crustacés et paysages marins à souhait... nulle petitesse ne venait borner les étendues vert de gris, mais s'il est vrai que jamais les douces plaines salées de la mer n'avaient été aussi prometteuses d'inspiration et de vérité de vie, c'est qu'autour de Francis, ferment exigeant et discret, il n'était jamais convenable de se prendre pour le sel de la terre.
Anne Hénault